J’ai trouvé ce conte en recherchant de la documentation sur les Sénoufos. Il a été recueilli par Albert Kientz dans le cadre d’un travail linguistique et ethnologique dans la région de Dikodougou, au sud de Korhogo (Côte d’Ivoire). Vous pouvez en trouver d’autres dans son ouvrage cité dans la petite bibliographie donnée dans la partie sur le pays sénoufo.

 

 

 

 

 

 

 

Le génie voleur de seins

de Kudrigena Soro

 

Je vais vous donner un conte.

Savez vous pourquoi vous constatez que les filles ne peuvent pas enlever leurs seins, les ranger et aller se promener sans eux ?

Autrefois elles enlevaient leurs seins et les rangeaient.

Les seins étaient comme des miroirs ; en te plaçant devant l’un d’eux tu pouvais te voir et t’y mirer.

Des filles avaient alors enlevé, un par un, leurs seins et les avaient rangés ; cela se passait un jour qu’elles étaient allées chercher du bois.

Mais un génie mâle survint et vit comment, tous seuls, les seins s’ébaudissaient et dansaient une ronde.

Ils bondissaient, roulaient à terre, décrivaient une ronde,tout cela entre eux.
Il s’arrêta pour les regarder et le plaisir qu’il éprouvait à les regarder était sans bornes.

 

Ils s’empara d’une paire, les fit tournoyer et les planta sur lui ; il partit avec eux.

Il constata qu’ils restaient en place comme il les avait accrochés et il s’y mirait.

Lorsque les filles retournèrent là-bas, au fur et à mesure qu’elles arrivaient, elle les reprenait et chacune se les remettait ; mais l’une d’elle ne retrouva pas les siens.

Aussitôt elle se mit à chercher partout et elle vit le génie là-bas devant elle.

Elle s’arrêta aussitôt et dit : «  Génie que voici ! Viens me redonner mes seins ! Génie que voici ! Viens me redonner mes seins ! »

Le génie s’immobilisa et lui fit : « Tes seins ? Tes seins ? Tu ne les auras plus ! »

Et il s’enfuit avec eux.

Et elles disaient : « Eh ! Vous, braves gens ! Comment allons nous arranger cela ? »

Elles partirent aussitôt avec les leurs.

Et celle-ci resta seule ; elle pleurait et tournait en rond à la recherche de ses seins.

Les autres racontèrent au village ce qui s’était passé.

 

Aussitôt tous accoururent avec des fusils pour se lancer à la poursuite du génie ; ils essayèrent de les récupérer par tous les moyens mais en vain.

On alla informer son amoureux.

Celui-ci pris aussitôt son fusil et vint sans tarder ; il alla se cacher et attendit.

La fille arriva là et, s’immobilisant, dit encore :

« Génie que voici ! Viens me redonner mes seins ! Génie que voici ! Viens me redonner mes seins ! »

Le génie répondit aussitôt : « Tes seins ? Tu ne les auras plus ! Tu ne les auras plus ! »

Et l’homme qui était là se redressa avec son fusil et tira sur le génie ; il réussit à l’abattre.

Aussitôt on alla lui arracher les seins et les planter sur la fille ; ils y sont encore.

Ce génie-là les a salis ; c’est pour cela qu’il y a de la boue dessus, qu’il y a de la terre dessus.

C’est pour cela que, même si vous en voyez une qui vous plaît bien – que se soit une femme ou une fille –, ses seins sont cependant ternes.

Mais vous savez que se sont tout de même de bien désirable choses.

C’est ce génie là qui les a ternis.

Si cela ne s’était pas passé, en regardant l’un d’eux, tu le verrais plus éclatant qu’un miroir.

Tu t’y serais miré.

Cela se termine ainsi.